Bail commercial : force majeure et suspension des loyers

Attention aux erreurs juridiques et stratégiques  dans le cadre de la suspension des loyers d’un bail commercial

I. Rappel des notions juridiques de force majeure

La force majeure en matière contractuelle est un événement qui empêche le débiteur d’exécuter son obligation et qui a pour effet de l’exonérer de toute responsabilité.

Il s’en induit deux principes majeurs :

  • Seul celui dont l’obligation contractuelle est empêchée par la force majeure peut l’invoquer ;
  • La force majeure protège le débiteur de l’obligation empêchée et l’exonère du paiement d’une indemnité en conséquence de son inexécution.

La notion de force majeure définie par la jurisprudence est applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016.

Ainsi, la force majeure est caractérisée lorsque les conditions cumulatives suivantes sont satisfaites :

  • l’événement est imprévisible ;
  • l’événement est irrésistible ;
  • l’événement est extérieur à celui qui l’invoque.

Concernant les contrats conclus après le 1er octobre 2016, la notion de force majeure est définie à l’article 1218 du Code civil.

Pour être qualifié de force majeure, quatre conditions cumulatives doivent être vérifiées :

  • l’événement échappe au contrôle du débiteur ;
  • l’événement ne pouvait pas être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ;
  • les effets de l’événement ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées ;
  • l’événement empêche l’exécution de l’obligation.

II. Force majeure invoquée par le Preneur : ERREUR JURIDIQUE

Dans le cadre d’un contrat de bail commercial, divers droits et obligations sont mis à la charge des parties :

  • Le Bailleur a pour obligation essentielle de mettre à disposition du Preneur des locaux exploitables conformément à leur destination (impérative dans la majeure partie des baux) ;
  • Le Preneur a pour obligation essentielle le paiement des loyers.

Il est rappelé que seul celui dont l’obligation est empêchée peut invoquer la force majeure, ceci afin de s’exonérer de toute responsabilité.

Seule l’obligation du Bailleur POURRAIT être considérée comme empêchée par la force majeure dans le contexte de pandémie que nous connaissons.

En effet, les arrêtés des 14 mars 2020 (Journal Officiel du 15 mars) et 15 mars 2020 (Journal Officiel du 16 mars) ont édicté la fermeture des commerces qui ne sont pas indispensables à la vie de la Nation.

Sous couvert des discussions et incertitudes qui pourront exister quant à la qualification de force majeure de cette fermeture, un postulat juridique se dégage toutefois : seule l’obligation de délivrance du bailleur est empêchée par la fermeture imposée.

Cette interdiction ne constitue pas pour le Locataire un événement l’empêchant d’exécuter l’obligation dont il est débiteur, à savoir, le paiement du loyer.

Il ne s’agit pas d’un cas de force majeure pour le Preneur.

Il est dès lors assez surprenant de constater, dans l’état actuel de nombre de productions et commentaires existants, qu’il puisse être conseillé aux Preneurs d’invoquer la force majeure !

Il s’agit d’une erreur juridique, mais en réalité, également stratégique.

III. Force majeure invoquée par le Preneur : ERREUR STRATEGIQUE

La question qui se pose alors est : quelle est la situation juridique du Preneur confronté à une absence de délivrance par le Bailleur d’un local exploitable ?

Le Preneur se trouve confronté à une inexécution du Bailleur, laquelle lui ouvre droit, selon le régime classique applicable en matière de droit contractuel, à l’obtention, outre le non-paiement des loyers et charges, d’une indemnisation du préjudice en résultant.

Certes, le préjudice qui pourrait résulter de la perte de chance de réaliser un chiffre d’affaires sera difficilement indemnisable, au regard du fait que le commerce n’aurait pu servir aucun client, lesquels étaient par ailleurs empêchés de circuler en considération de l’arrêté du 16 mars 2020 (Journal Officiel du 17 mars 2020).

Il n’en reste pas moins qu’il pourrait être considéré que certains préjudices, constitués par des charges fixes courantes (Abonnements, assurances…) pourraient parfaitement faire l’objet d’une demande indemnitaire.

Pour s’exonérer de toute responsabilité et se protéger, ce sera donc bien au Bailleur d’opposer au Preneur la force majeure.

Il apparaîtrait dès lors plus opportun, pour le Preneur, d’invoquer seulement et uniquement le défaut d’exécution et l’indemnisation du préjudice pouvant en résulter et de solliciter de son Bailleur s’il entend opposer la force majeure.

IV. EN CONCLUSION :

  1. Admettre pour le Preneur la force majeure consiste en réalité à admettre l’existence d’un mécanisme exonérant le Bailleur de sa responsabilité.
  2. Renoncer pour le Bailleur à invoquer la force majeure revient à abandonner un mécanisme protecteur et risquer de ce fait une indemnisation du préjudice de son Preneur.
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